LES SALARIÉS INAPTES DANS LE VISEUR

LOI TRAVAIL

Obligations patronales allégées, licenciements facilités, recours plus difficiles… les salariés sont les grands perdants de la réforme de l’inaptitude.

Un manque de médecins et de moyens. Partant de ce constat, partagé de tous, le législateur s’est attaqué au régime de l’inaptitude. Mais plutôt que de favoriser le maintien dans l’emploi de salariés fragilisés, cette réforme ne fait que gérer la pénurie en les précipitant vers la sortie. Les principaux changements concernent l’obligation de reclassement, allégée, et le licenciement des salariés inaptes, facilité. Sans oublier les recours contre les décisions du médecins du travail, rendus plus difficiles. Attention, ces nouvelles règles entrent en vigueur au plus tard le 1erjanvier 2017.

QU’EST-CE QU’UNE INAPTITUDE ?

L’inaptitude est une incapacité – physique ou mentale – qui empêche le salarié d’accomplir son travail. Cette inaptitude peut être totale ou partielle, temporaire ou définitive. Elle est matérialisée par un avis d’inaptitude établi par le médecin du travail.

Le nouvel article L. 4624-4 du Code du travail détermine la procédure de l’inaptitude comme suit :

« Après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l’équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l’employeur, le médecin du travail qui constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d’indications relatives au reclassement du travailleur. »

L’inaptitude est donc prononcée par le médecin du travail lorsqu’il constate que l’état de santé du salarié justifie un changement de poste et qu’aucune mesure d’adaptation du poste occupé n’est possible. Avant de prononcer l’inaptitude, le médecin a deux impératifs :

• réaliser une étude du poste du salarié ( mais cette étude peut aussi être effectuée un « membre de l’équipe pluridisciplinaire », donc quelqu’un qui n’est pas médecin) ;

• avoir des échanges avec le salarié et l’employeur, étant précisé que la loi prévoit un entretien avec le salarié portant sur l’avis du médecin et les indications- propositions qu’il envisage d’adresser à l’employeur (art. L. 4624-3

• et L. 4624-5 du Code du travail).

Une fois l’avis d’inaptitude établi, le médecin du travail l’envoie à l’employeur avec ses conclusions écrites ainsi que des indications relatives au reclassement du salarié. En principe, l’employeur est tenu de respecter les consignes du médecin. L’avis d’inaptitude, en particulier, s’impose à lui.  Si toutefois l’employeur refuse de l’appliquer, il doit en informer le salarié et le médecin par un écrit motivé (art. L. 4624-6 du Code du travail).

Problème, la loi ne précise pas quelles suites sont données à ce courrier de contestation. C’est le grand flou sur ce point.

À noter

• Il n’y a plus d’obligation pour le médecin de réaliser deux examens médicaux espacés de deux semaines comme c’était le cas jusqu’ici ; un seul examen suffit pour qu’une inaptitude soit constatée.

• Concernant les modalités concrètes de cette nouvelle procédure – nombre de rendez-vous et délais –, un décret devrait voir le jour très prochainement.

L’obligation de reclassement

On ne tient plus compte de l’origine professionnelle ou non professionnelle de l’inaptitude pour déterminer les obligations de l’employeur en matière de reclassement (à savoir si l’avis d’inaptitude est la conséquence d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail). La loi « travail » a unifié les règles applicables, obligatoires dans toutes les entreprises sans condition d’effectif (art. L. 1226-2 du Code du travail) :

– le médecin du travail doit fournir des indications sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise et à suivre une formation le préparant à occuper un poste adapté ;

– l’employeur doit consulter les délégués du personnel avant de proposer un poste de reclassement ;

– le cas échéant, il doit informer le salarié par écrit des motifs qui s’opposent à son reclassement.

Bonne nouvelle pour les employeurs, la loi introduit une présomption de « bonne conduite » en leur faveur : l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsqu’un emploi est proposé au salarié, approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, après avis des délégués du personnel et en tenant compte des indications du médecin du travail (art. L. 1226-2-1, L. 1226-12 et L. 1226-20 du Code du travail).

Or, jusqu’à présent, l’employeur devait épuiser toutes les possibilités en proposant au salarié l’ensemble des postes disponibles et compatibles avec son état de santé. Ce n’était qu’à cette condition qu’il pouvait remplir son obligation de reclassement (jurisprudence de la Cour de cassation). À la lecture des nouvelles dispositions, une seule proposition de reclassement conforme aux exigences légales suffit. Si le salarié refuse cette unique proposition, le licenciement est possible et l’employeur est réputé avoir satisfait à son obligation de reclassement. On retrouve ici une idée forte de la loi « Travail » : verrouiller les contentieux en amont pour sécuriser les employeurs et ainsi décourager les salariés d’agir en justice.

RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

La encore, on ne distingue pas selon l’origine professionnelle ou non de l’inaptitude. Les mêmes règles s’appliquent. Le licenciement d’un salarié inapte ne peut être prononcé que dans les cas suivants :

(art. L. 1226-2-1et L. 1226-12 du Code du travail)

– impossibilité pour l’employeur de proposer un poste de reclassement correspondant aux capacités du salarié et aux préconisations du médecin du travail ;

– refus par le salarié d’un poste proposé conforme aux exigences légales ;

– dispense de recherche de reclassement.

Cette dispense existe si l’une ou l’autre de ces mentions figure dans l’avis d’inaptitude :

– le maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ;

– l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Si l’une de ces deux mentions figure sur l’avis d’inaptitude, l’employeur est dispensé de chercher un poste de reclassement (c’est une nouveauté de la loi « travail »). La procédure de licenciement peut donc s’engager.

CONTESTER L’AVIS DU MÉDECIN DU TRAVAIL

Avant la loi « travail »,  tout avis médical d’aptitude ou d’inaptitude pouvait être contesté, par l’employeur comme par le salarié, devant l’inspecteur du travail. Une procédure qui avait le mérite de la simplicité.

Aujourd’hui, l’article L. 4624-7 du Code du travail dispose que « les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail » peuvent être contestés devant le conseil de prud’hommes.

L’objectif de ce recours ? Demander la désignation d’un médecin expert, inscrit sur une liste près la cour d’appel, qui confirmera ou contredira l’avis du médecin du travail.

Quelques précisions sur cette nouvelle procédure :

– l’affaire est directement portée devant la formation de référé du conseil de prud’hommes ;

– le demandeur doit informer le médecin du travail de son action ;

– le médecin-expert peut demander au médecin du travail la communication du dossier médical du salarié ;

– les frais d’expertise sont facturés, dans un premier temps, au demandeur, mais c’est le juge des référés qui décide, au final, quelle partie supportera ces frais.

On peut craindre que cet ensemble de règles, relativement complexes, dissuade les salariés de toute contestation. Ce qui est sans nul doute l’objectif de la loi.