Réforme de l’apprentissage : les publics fragiles sacrifiés sur l’autel du marché
La réforme de 2018, dite loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel », devait ouvrir grand les portes de l’apprentissage à tous les jeunes. Sept ans plus tard, le constat est sans appel : l’apprentissage s’est développé là où il n’avait pas de plus-value éducative — dans les formations du supérieur —, tandis que les formations dites « manuelles », elles, reculent. Ce développement quantitatif masque une dérive qualitative : l’apprentissage est devenu un outil de dumping social, un moyen pour les entreprises d’accéder à une main-d’œuvre bon marché sous couvert de formation.
Un rapport récent du CESER Centre-Val de Loire vient d’ailleurs confirmer ce que le SNCA-CGT dénonce depuis plusieurs années : les jeunes les moins qualifié·es, les apprenti·es en situation de handicap ou issu·es de milieux populaires sont les grand·es oublié·es de cette réforme.
Quand la logique de contrat remplace l’intérêt général
La grande promesse de 2018 — « un apprentissage pour tous » — s’est transformée en apprentissage à deux vitesses. D’un côté, les filières du supérieur, soutenues par les grandes entreprises et des coûts-contrats confortables. De l’autre, les formations de base (CAP, BEP, niveaux 3 et 4), celles qui offrent une seconde chance aux jeunes en difficulté, fermées les unes après les autres faute de rentabilité.
Le passage à un financement “au contrat”, piloté par France Compétences et les OPCO, a installé une logique marchande au cœur du système. Les CFA doivent désormais « équilibrer leurs comptes », « optimiser leurs effectifs » et « rationaliser leurs offres » au lieu d’assurer une mission d’intérêt général.
Résultat : les formations de proximité disparaissent, et les métiers rares — piliers de notre patrimoine artisanal — sont menacés.
Les publics fragiles laissés pour compte
Les jeunes les plus éloigné·es de l’emploi — ceux que l’apprentissage devait justement accueillir — se retrouvent aujourd’hui sans accompagnement réel :
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La disparition des prépa-apprentissage, en janvier 2025, prive les jeunes sans repères d’un sas essentiel pour construire leur projet.
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Le manque de référent·es formé·es et disponibles fragilise le suivi des apprenti·es en situation de handicap ou en difficulté sociale.
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Les problèmes de logement, de mobilité et de restauration continuent de peser lourdement sur leur réussite.
Ces obstacles ne sont pas une fatalité. Ils sont le résultat d’un choix politique : celui de soumettre la formation à une logique de rentabilité et de concurrence. Quand le marché décide, ce sont toujours les plus vulnérables qui payent.
Les CFA des Chambres de Métiers en première ligne
Les CFA des Chambres de Métiers sont particulièrement touchés par cette dérégulation : leur mission historique — former les jeunes aux métiers de l’artisanat et maintenir les savoir-faire de proximité — se trouve menacée par le financement à la « performance ». Sur tous nos territoires, on observe que les sections à petits effectifs, les métiers rares ou à forte dimension manuelle sont considérés comme « non rentables ». On assiste à une recentralisation silencieuse : fermeture de sites ruraux, suppression de spécialités, concentration sur les filières jugées “porteuses”.
Cette logique est contraire à l’intérêt général ! Les CFA des Chambres de Métiers sont des outils publics de formation et d’aménagement du territoire, pas des centres de profit.
Ce que nous revendiquons
Face à cette dérive, le SNCA-CGT porte des revendications claires et concrètes :
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Un pilotage public fort : retour à une gouvernance régionale de la carte des formations, avec maintien des filières de proximité et des métiers rares.
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Un financement pérenne dédié aux publics fragiles : création d’une enveloppe spécifique couvrant les référents de parcours à temps plein, les aides au logement, à la restauration et au matériel adapté.
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Le rétablissement d’un dispositif de prépa-apprentissage public, financé durablement et adossé à la politique régionale de formation.
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La transparence totale des données et des financements : publication annuelle d’un tableau de bord sur les entrées, les abandons et les coûts réels de l’accompagnement.
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La protection des CFA des Chambres de Métiers comme structures d’intérêt général, garantes du maintien des savoir-faire et de la transmission des métiers manuels.
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La reconnaissance du rôle éducatif des maîtres d’apprentissage et une formation obligatoire sur l’accueil des jeunes fragiles et des publics RQTH.
Pour un véritable service public de la formation
Derrière la hausse artificielle du nombre d’apprentis, la réalité est bien différente : le système profite surtout aux grandes entreprises et aux filières supérieures, où l’alternance sert trop souvent à subventionner des emplois précaires déguisés en formation. Pendant ce temps, les jeunes les plus fragiles voient disparaître les dispositifs qui leur étaient destinés, et les CFA des Chambres de Métiers peinent à maintenir leur mission sociale.
L’apprentissage ne doit pas être un marché, mais un outil d’émancipation et d’insertion pour tous les jeunes. Il doit redevenir un service public national et territorial, garant de l’égalité d’accès, de la qualité pédagogique et de la transmission des métiers.
Le SNCA-CGT appelle à un moratoire sur la fermeture des formations de niveaux 3 et 4, à la reconstruction d’un dispositif préparatoire pour les jeunes éloigné·es de l’emploi, et à une remise à plat du financement au contrat qui met en concurrence les CFA.
Nous refusons que l’avenir professionnel de nos jeunes devienne un terrain de spéculation. Nous exigeons un apprentissage au service des personnes, pas du profit.